Réalisation : Emir Kusturica (Yougoslavie)
Date de sortie : 1989
Durée : 132 mn
Acteurs principaux : Davor Djumovic (Perhan), Bora Todorovic (Ahmed), Ljubica Adzovic (la grand-mère).
Langue : romani. (Ce film fut l'un des tout premiers films presque entièrement tourné en romani, la langue des Roms.) Sous titres : français
Musique de Goran Bregovic. La chanson générique Ederlezi serait un ancien chant traditionnel tzigane apparu en 1942.
Distinctions : Prix de la mise en scène (meilleur réalisateur) au Festival de Cannes 1989. Meilleur film étranger au Guldbagge Awards de Suède, 1991.
Synopsis /Résumé
Perhan est un Rom. Fils naturel d’un soldat et d’une tsigane, il est élevé ainsi que sa sœur handicapée, par sa grand-mère dans un bidonville de Skopje en Macédoine. La vie de famille s’organise autour d’un accordéon, d’un dindon et d’un fiston déluré. Perhan tombe amoreux de la fille de la voisine et décide de gagner beaucoup d'argent pour obtenir le droit de l'épouser. Il rentre dans le clan d'Ahmed et mène une existence faite de “bricolages” et de magouilles. Perhan est désormais prisonnier d'un monde dont il ne veut pas. Du moins lui reste-t-il l'amour, celui qu'il possède en lui. Sa destinée paraît toute tracée, dramatique car sans espoir de rédemption, mais Perhan s'accroche à la vie par pure fierté. Il tombera de très haut, le rêve européen est loin et demeure inaccessible. Les Gitans sont condamnés à souffrir et à errer, mais dans la dignité…
Lieux du tournage :
Le voyage que fait Perhan traverse toute la République fédérale socialiste de Yougoslavie : parti de Skopje, il traverse la Macédoine, puis c'est au Kosovo qu'Ahmed achète Irfan (le père d'Irfan porte le traditionnel chapeau de feutre albanais, le qëlesh ). Ils passent ensuite en Serbie, puis en Bosnie-Herzégovine (le chauffeur de taxi est de Brčko, au nord de la Bosnie). Ils rejoignent alors la Croatie par la célèbre autoroute de la Fraternité et de l'Unité (Belgrade-Zagreb), construite par Tito après la Seconde Guerre mondiale. Enfin ils arrivent à l'hôpital de Ljubljana en Slovénie.
Présentation du film Le Temps des Gitans d’ Emir Kusturica, 1989.
A l’origine du film, Kusturica est touché par un fait divers sur le trafic d’enfants et leur exploitation à l’intérieur de la communauté Rom : une bande mafieuse faisait passer la frontière Yougoslavie/Italie à de jeunes enfants, parfois handicapés pour les obliger à mendier ou à se prostituer.
Emu par le sort des enfants, il prépare un scénario réaliste, très documenté : il apprend la langue, recueille des informations et des témoignages authentiques sur les conditions de vie des Roms et sur les trafics sordides auxquels certains d’entre eux se livrent. C’est à partir de cette enquête de terrain qu’il construit son film.
Cependant le film est avant tout une œuvre d’art, la vision lyrique d’un cinéaste talentueux et non la réalité décrite par un sociologue.
Il faut bien distinguer les aspects documentaires, assez réalistes, et la vision personnelle de Kusturica, fasciné par cette communauté depuis son enfance, très onirique et souvent burlesque. Son imagination débordante transforme ainsi une histoire sordide en un poème baroque (ce mélange étonnant deviendra le marqueur de toute son œuvre).
Le film est la mise en scène d’un monde à la fois réel et rêvé, englué dans la boue du quotidien et emporté dans le vent des songes…. Un montage de moments burlesques, sinistres, magiques, suivant le fil de la destinée de Perhan le personnage principal qui a cru pouvoir échapper à sa condition….
Les séquences ancrées dans la réalité, documentées: (la recherche de l’authenticité par Kusturica)
- La langue
- Le temps et l’espace (traversée de toute la Yougoslavie, un Etat aujourd’hui disparu, et le passage en Italie). Le récit est bien localisé et daté : ce n’est pas une fable intemporelle.
- Diverses nationalités et religions sont rencontrées.
La coexistence des religions permet d’évoquer le syncrétisme des Roms : « identité » musulmane : les prénoms (Ahmed), la décoration de certaines maisons (la tenture avec les mosquées), les prières et invocations ; et fêtes orthodoxes (la Saint George), la présence des églises ou de petites chapelles, sans oublier l’importance des pratiques superstitieuses et magiques d’origine populaire.
- Quelques images rapides de Tito.
- Le trafic d’enfants, malheureusement bien réel et bien documenté ici. (mendicité et prostitution).
Quelques exemples de séquences purement fantasmatiques :
- Les mariages (scène d’ouverture, mariage de Perhan et Azra, celui d’Ahmed à la fin) combinent effets lyriques (la mariée en voile blanc flottant dans l’air) et instants pathétiques.
- Les cartons qui se déplacent…
- La maison arrachée du sol et levée dans les airs par une grue.
Pistes pour une étude dans le cadre du ciné-philo : (source : article de DOMINIQUE CHANSEL, site du Conseil de l’Europe)
- Les grands thèmes philosophiques qui sous-tendent l’œuvre et qui sont sans doute révélateurs des obsessions thématiques de l’artiste : Le temps des Gitans se construit sur l’opposition entre le sol boueux et les airs, entre le désir d’envol et l’irrémédiable chute. Est-ce une image de la volonté de s’arracher à une destinée engluée et au poids final des fatalités que d’autres appelleront le conditionnement social? Les épisodes de cette forme de «rêve d’Icare» ne manquent pas: depuis la simple cuillère que le jeune Perhan, doué de télékinésie, soulève de la table et fait danser le long du mur, en passant par le songe du jeune homme au cours duquel il survole la cérémonie de la nuit de la Saint-Georges, et la maison arrachée du sol et levée dans les airs par la grue que pilote l'oncle Mezran. Les plus poétique des envols sont bien sûr ceux des mariées, dont les longs voiles blancs flottent au vent: l’image de la mère sur l’autoroute, la lévitation d’Azra, le ventre rond, sur le point d'accoucher; le plus dramatique est celui où Perhan perdra à son tour la vie, dans un saut dans le vide depuis le pont de chemin de fer, avec cet espoir inconscient d’avoir des ailes.
- Le temps des Gitans est-il une sorte de conte initiatique du passage à l'âge adulte?
Comment grandir sans renier ses rêves d’enfant, comment entrer dans le monde des adultes sans vendre son âme au diable? Perhan a-t-il su garder les valeurs que lui avait enseignées sa grand mère: ne jamais succomber à la tentation de l'argent facile, qui est aussi un argent sale? Cet argent maudit qui a rendu fou l'oncle Mezran, toujours endetté au jeu, a-t-il eu raison de la vie et des espérances de Perhan?
LA MUSIQUE DU FILM : La bande-son ancre le film dans la culture rom. Le compositeur Goran Bregovic a puisé dans les chants et airs traditionnels tziganes. Elle envoûte le spectateur et est un élément vital du film tout comme elle est vitale à la culture rom : la musique est un élément, comme l’air, la terre, l’eau et le feu.
LES COMEDIENS : aucun ne sont des professionnels, sauf Bora Todorovi, l’oncle Ahmed. Les autres sont tous d’authentiques Roms.